jeudi 31 mai 2007

L’espoir d’un Madagascar sans la pauvreté

o L’espoir d’un Madagascar sans la pauvreté…Jaona RAVALOSON – (dans Croissance Actualité : Magazine du FFA) Août 2002

L'espoir d'un Madagascar sans pauvreté*

Jaona Ravaloson, ancien ambassadeur de Madagascar, président de
Madagascar Entreprise Développement,
membre du comité directeur du FFA

Au moment où je travaille cet article (1er août), je lis une dépêche d’agence informant que 13 personnes d’origine africaine sont retrouvées mortes sur la côte méridionale espagnole. D’après la police, cette issue tragique fait suite à l’échec d’une tentative de traversée clandestine du cruel et perfide détroit de Gibraltar menant sur le continent européen.

Je ne peux m’empêcher de penser qu’en Afrique ce ne sont pas seulement les guerres, la plupart du temps civiles, qui tuent. Le sous-développement et la misère aussi, même si on se hasarde à les fuir, prélèvent leur dû.

Ayant traversé une crise de pouvoir de près de six mois, Madagascar vient d’éviter de près les affres d’une guerre civile. La Grande Ile parviendra-t-elle à conjurer les horreurs de la pauvreté? Il faut espérer que la dynamique insufflée par le changement politique s’incarne en “développement rapide” ainsi que l’ambitionnent les nouveaux dirigeants.

Madagascar fait en effet figure de géant endormi dans cette contrée occidentale de l’océan Indien : un territoire aussi grand que la péninsule ibérique avec des ressources abondantes et variées, une population autour de
16 millions d'habitants, disposant de la taille critique et d’un large éventail de compétences, une histoire et une culture riches de leur passé tout en étant des socles solides pour l’avenir... donc, en théorie un réel potentiel, envié par de nombreuses nations dont la détresse est authentique.

Or ce potentiel est potentiel depuis plus de 40 ans que la Nation a recouvré sa souveraineté. Maintenant qu'une page de l’histoire du pays vient d’être tournée dans le bon sens, l'enjeu est de transformer ce potentiel en machine à créer de la valeur et du bien-être pour la population.

Le manque de stabilité politique ou le dévoiement de la stabilité (quand elle existe) au profit d'un pouvoir personnel et aveugle ont constitué une inhibition de taille au décollage de Madagascar. La situation appelle de ce fait une bonne gouvernance politique. L'alternance qui vient de se produire est à cet égard porteuse de leçons et d'amélioration. Un changement en profondeur est escompté et devrait irriguer les structures et les pratiques de pouvoir avec comme priorité le rétablissement de l'Etat de droit, le bon fonctionnement de l'appareil judiciaire et une marche optimale de l'administration de façon à sécuriser et encourager les acteurs du développement (entreprises, initiatives individuelles et actions collectives de la population). Objectif : transformer l'appareil d'Etat en accélérateur du développement et éviter que les soubresauts politiques ou les crises de l'Etat central prennent en otage la vie économique et sociale ainsi que le processus de développement.

Dans ce cadre, un chantier majeur dont la nécessité a été exacerbée par la fièvre politique récente devrait être ouvert. Celui de la décentralisation effective, leitmotiv des textes constitutionnels et des discours partisans mais lettre restée morte et esprit constamment dévoyé. Les disparités dans les six provinces instituées par la loi cadre pré-indépendance de 1956 n’ont pas permis de créer les conditions favorables au développement. La régionalisation, par exemple en 24 entités, est plus conforme à la vaste superficie du pays. En effet, elle faciliterait la mise en œuvre plus efficace d’une stratégie associant toutes les strates de la population et capable d’enrayer l’exclusion sociale et de mettre le pays sur les rails d’une croissance rapide et d'un développement durable et participatif. Un développement harmonieux nécessite la redéfinition du rôle de l'État en transférant des pouvoirs de décisions vers les régions.
L'échec économique de Madagascar à ce jour tenait aussi à la mauvaise qualité de l'environnement opérationnel des entreprises, principaux agents de développement. Il ne s'agissait pas seulement de l'absence d'incitations mais de tout un ensemble de comportements démotivants et anti-économiques de la part des tenants du pouvoir politique (interventionnisme, racket institutionnalisé, corruption et passe-droit, etc.) et de lacunes au niveau structurel (problèmes du droit foncier, déficience du circuit bancaire et financier, etc.). La conséquence en est l'insuffisance en nombre et en qualité et la mauvaise performance des entreprises.

La bonne gouvernance est également de ce fait une exigence dans cet univers.
L'avantage est que désormais ce type de préoccupation est ressenti, voire vécu, et à tout le moins compris au plus haut niveau de l'Etat. Sous la houlette du nouveau gouvernement, l'Etat se veut être désormais "un facilitateur et un incitateur" des initiatives privées et des investissements porteurs de développement. A la clé, simplification des procédures, mesures d'accompagnement et réformes structurelles. Croisons les doigts afin que les fruits tiennent la promesse des fleurs !

Le troisième facteur qui explique le retard de la Grande Ile et qui mérite une attention particulière est la coopération internationale. Insuffisante, mal adaptée, mal négociée, mal mobilisée, sous-utilisée, détournée, celle-ci, jusqu'à présent, a plus été une partie du problème qu'une partie de la solution au sous-développement. La dette extérieure accumulée par Madagascar (environ 4,5 milliard $ avant mesures d'allègement) est dans cette perspective un indicateur éloquent.

Le succès (au moins d'estime) de la nouvelle administration auprès des "Amis de Madagascar" a d'ores et déjà permis de corriger le tir ne serait-ce que sur le plan quantitatif. Des crédits et des aides financières de 2,3 milliards $ sur quatre ans ont été promis par dix-neuf institutions internationales et dix-sept Etats partenaires en conférence fin juillet à Paris. Ce montant est considérable puisque, ramené à une base annuelle, il représente 15 % du PIB.

Toutefois, il ne sera pas de nature à sortir le pays de l'ornière que si parallèlement les investissements privés se multiplient. A ce jour, d'après la Banque Mondiale, les investissements directs étrangers ne représentent même pas 1% du PIB.

En définitive, les investissements privés que ce soit étrangers ou nationaux alliés à la capacité de travail de la population sont les seuls à être puissamment créateurs de richesse. Ils constituent les bases les plus solides de l'espoir d'une Grande Ile sans pauvreté*.

*Pour paraphraser un document volumineux publié récemment par la Banque Mondiale, “L'espoir d'un monde sans pauvreté”, Juin 2002