vendredi 8 juin 2007

Les enjeux du développement, cas de Madagascar

La session n°16 des vendredi du CDE qui ont lieu habituellement à Madagascar, s’est tenu cette fois-ci à Paris, dans les locaux de l’Assemblée Nationale, avec la présence de Mr Serge ZAFIMAHOVA, président du CDE de passage en France et également de Jaona Ravaloson, président de Madagascar Entreprise Développement. La rencontre est co-organisée par les Verts français.
Le parcours du combattant

Jaona RAVALOSON, analyste financier, a rappelé l’accord d’annulation de la dette multilatérale pour 18 pays, dont Madagascar. Il a rappelé le parcours du combattant de ces pays pour être éligibles à cette annulation et a évoqué des conditionnalités “ draconiennes “ (bonne gouvernance, des exigences en matière judiciaire et financière…) auxquelles ces pays doivent faire face pour bénéficier réellement de cette mesure des institutions financières internationales.
22% du budget du pays reste au service de la dette après l’annulation
Il rappelle que pour ces pays, après l’allègement, 22% du budget du pays reste au service de la dette (un stock restant de 33 milliards de dollars). D’après Mr Ravaloson, l’annulation n’est pas une solution pour ces pays. Il a posé 5 questions pour étayer son raisonnement. Cette dette est-elle soutenable ? Cette annulation préserve t’elle des chocs exogènes ? Apporte-t-elle de nouveaux flux ? L’annulation répond-elle à l’objectif n°1 des OMD ?

Plan de type “Brady”
Sa réponse à ces 4 questions est non, et la cinquième question porte naturellement vers une solution alternative. Jaona Ravaloson propose un plan de type “ Brady “, qui était appliqué en Amérique Latine dans les années 90. Cela consiste en un rachat de dettes par des entreprises (ou des ONG) avec une décote de 50-75%. Ces entreprises investissent alors dans le pays, donc il y a un flux de capitaux privés.
Perçu comme en faillite
Le débat était ouvert et Jaona Ravaloson de soutenir qu’un état qui a eu une annulation de dette, peut être perçu comme en faillite, donc comme pour une personne physique ou un entreprise, peut difficilement bénéficier d’un nouvel emprunt (perte de crédibilité).
Des chiffres et des chiffres
Serge Zafimahova le rejoint en commençant son exposé par des données concrètes économiques pour Madagascar : en 2003, le Smig évalué à 254 000 FMG, permettait d’acheter 2 sacs de riz de 50 kg. Actuellement, on n’a qu’un sac de 50 kg. L’accès à l’eau potable est possible pour seulement 10% de la population, la pénétration de l’électricité en milieu rural est de 3%, les facteurs de croissance annoncés dans le DSRP (Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté) ne représentent pas une fiabilité pour Serge Zafimahova. Rien que sur l’exemple du tourisme : le nombre de 228 000 touristes en 2004 annoncés est faux du fait de nombre de rotation des avions (là, il a fait un calcul de tête du genre 12 avions x 250 passagers x 52 semaines = 170 000 (et plutôt 156 000 avec la calculatrice). 7 à 8% de taux de croissance est impossible à atteindre. Les investissements étrangers directs (les fameux IDE) dans les zones franches représentent peanuts pour Madagascar (l’Afrique représente 1% des IDE mondiaux, et Madagascar ne représente que 0.5% de l’Afrique).
Je vous passe les détails des textes juridiques rappelés par Serge Zafimahova, ainsi que son dada qui est le domaine de la privatisation (il a été président du Comité de Privatisation à Madagascar, et a fait une étude en 2003 sur les entreprises malgaches).
Juste à signaler au passage ce fait rapporté par Mr Zafimahova par rapport au secteur bancaire, sorti dans les textes en janvier 2005 : toute personne possédant dans son compte 30 millions d’Ariary, (environ 12 000 Euros) est susceptible d’être contrôlée fiscalement…
Encore des idées nouvelles
Il y a eu beaucoup d’idées annoncées aussi bien par les deux hommes du CDE et du MED que par la salle (des auditeurs de qualité). Une des questions, c’est bien sûr : quelles alternatives aux dettes ?
A titre d’exemple, Ravaloson et Zafimahova sont adeptes de tout miser sur le secteur privé et axer la priorité sur les secteurs productifs (halieutique, minier, tourisme, agriculture) ces derniers restent actuellement trop ponctionnés en matière fiscale.
Contre l’impunité
Même s’ils ne partagent pas tous les points de vue des Verts, coorganisateurs de cette rencontre (Jaona Ravaloson affirme qu’il ne montera pas une section Verts malgaches), les deux entités s’accordent sur le fait qu’il ne faut pas laisser impunies des personnes qui ont détourné auparavant de l’argent (issu du crédit de la dette) et qu’il faut les juger.
Pour terminer parmi les solutions préconisées par Mr Zafimahova : dans le domaine de l’exportation, il trouve que les malgaches ne s’adaptent pas aux marchés mondiaux, car il y a trop de facteur émotionnel dans leur démarche. Par exemple, il a cité le cas des artisans, qui, au lieu de faire des sculptures de personnages Antandroy, avec la charge culturelle que cela renferme, devraient selon Zafimahova, s’adapter aux besoins du marché, et faire par exemple, une tour Eiffel pour les français, une statue de la liberté pour les américains…
Une spirale infernale
Les chiffres sont cruels pour les promoteurs du modèle économique dominant. Fin 2003, la dette extérieure publique de Madagascar s’élevait à 4,84 milliards de dollars, après une augmentation de 19% en 18 mois de présidence Ravalomanana. La spirale infernale n’a donc pas cessé.
La part bilatérale, qui était majoritaire voici quelques années, ne représente plus que 45,5% du total. Au contraire, la part multilatérale s’accroît très vite, pour aujourd’hui dépasser 54% du total. La part privée est négligeable.
La Banque mondiale prend une importance de plus en plus grande, détenant à elle seule près de 2 milliards de dollars de créances, soit 41% de la dette totale. Du côté des créanciers bilatéraux, la France reste, avec 491 millions de dollars, le premier Etat créancier, devant le Japon (406 millions de dollars). Suivent dans l’ordre la Russie, la Libye, l’Irak, l’Espagne, l’Italie et l’Algérie.
Ainsi, alors que Madagascar est parvenu au point d’achèvement de l’Initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) en franchissant toutes les étapes de ce parcours du combattant néolibéral, l’économie de la Grande Ile est toujours étouffée par une dette démesurée. Pourtant, l’Initiative PPTE devait apporter une solution durable. Il n’en fut rien, mais un autre but est atteint : re-légitimer les politiques imposées par le FMI et la Banque mondiale.
Alors que le sommet du G8 en juillet dernier a annoncé un accord « historique » sur la dette multilatérale pour 18 pays, dont Madagascar, notons qu’il vient avant tout consacrer l’échec de l’Initiative PPTE à libérer le développement des pays du Sud. Mais il en reprend la logique, refusant de questionner la voie à suivre pour lutter enfin efficacement contre la pauvreté.
La réalité est loin des proclamations de la Banque mondiale : les décideurs des pays riches et leurs sociétés transnationales, en accord avec les potentats locaux qui sont généralement récompensés, utilisent le levier de la dette pour obtenir des matières premières et du travail à bas prix, tout en organisant une domination implacable des pays endettés. Quand James Bond, le représentant de la Banque mondiale à Madagascar, vilipende l’administration malgache pour les freins mis aux investissements étrangers, il veut l’obliger à plus de dérégulation, plus de libéralisation, pour encore plus de profits pour les transnationales. Au lieu d’être le reconstructeur d’une économie dévastée, il se comporte comme un pyromane ultralibéral qui veut passer pour un pompier...
L’amélioration des conditions de vie n’est pas une priorité dans ce contexte. À l’inverse de cette logique mortifère, les mouvements sociaux doivent peser de tout leur poids pour inverser le rapport de forces actuel.
L’effacement de la dette, selon les officiels malgaches et les médias.
L’annulation par le FMI et la Banque Mondiale, le 11 juin 2005, et décembre dernièr de plusieurs milliards de dollars de dettes des pays pauvres, dont Madagascar, a été annoncée dans un premier temps de manière euphorique comme étant un effacement à 100% des dettes multilatérales grâce à la reconnaissance des performances économiques du pays.
Puis le ministre des Finances a déclaré aux députés que rien n’était encore précis : le système prévoyait une sorte de compensation par le G8 des dettes des pays pauvres annulées au niveau des banques internationales et organismes financiers - Banque mondiale, Fonds monétaire international (FMI), Banque africaine de développement (BAD) - et que le mécanisme ne serait, éventuellement, mis en place qu’en 2006.
Plusieurs organes de presse malgaches ont saisi l’occasion pour insister sur la nécessité d’une clarification par les responsables malgaches de la signification précise des différentes mesures d’allègement / effacement / annulation de dettes annoncées depuis 2004.
Lorsque le FMI, la Banque mondiale, la BAD, les Etats-Unis, le Club de Paris, la France, l’Italie, le Japon, l’Allemagne ... ont effacé des dettes malgaches, s’agissait-il pour chaque cas du capital ou des intérêts ou de l’ensemble ? La mesure concernait-elle les dettes contractées avant ou après le point de décision ou le point d’achèvement ? Quelles étaient les conditions imposées par les divers pays et organismes créanciers ? Quel est le montant actuel des dettes malgaches, puisque de nouvelles dettes ont été contractées entre-temps ?
Les journalistes ont également demandé une transparence sur l’utilisation des ressources et exprimé leur scepticisme quant à l’impact de ces allègements et effacements de la dette sur la réduction de la pauvreté de la population. Signalons que la plus grande partie de la presse malgache a repris le communiqué immédiat du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde) dénonçant avec clarté la grande duperie que ce cirque médiatique du G8-Finances justifiait.

Cet article a été publié dans Madagascar Tribune du 06/01/2006